Result: Explaining judicial decision. An inquiry into naturalization projects in human sciences

Title:
Explaining judicial decision. An inquiry into naturalization projects in human sciences
Expliquer la décision judiciaire. Une enquête sur les processus de naturalisation en sciences humaines
Contributors:
Institut de recherches philosophiques de Lyon (IRPhiL), Université Jean Moulin - Lyon 3 (UJML), Université de Lyon-Université de Lyon, Institut de Recherches Philosophiques (IRePh), Université Paris Nanterre (UPN), Université Nanterre - Paris X, Denis Forest
Source:
Philosophie. Université Nanterre - Paris X, 2023. Français. ⟨NNT : ⟩
Publisher Information:
HAL CCSD, 2023.
Publication Year:
2023
Collection:
collection:SHS
collection:UNIV-LYON3
collection:UNIV-PARIS10
collection:AO-DROIT
collection:AO-PHILOSOPHIE
collection:HIPHISCITECH
collection:UPN
collection:UNIV-PARIS-LUMIERES
collection:UDL
collection:IREPH
collection:UNIV-PARIS-NANTERRE
collection:IRPHIL
Original Identifier:
HAL:
Document Type:
Dissertation/ Thesis doctoralThesis<br />Theses
Language:
French
Accession Number:
edshal.tel.04349435v1
Database:
HAL

Further Information

This thesis is in the field of philosophy of law and philosophy of action, and consists of a study of the specific activity of rendering a decision for a judge. At the starting point of the reflection is the observation that the philosophy of law has difficulty offering sufficiently convincing models to account for court decisions. It is often criticized for providing more of a theory of justice than actual judicial judgments. These criticisms are classically formulated by lawyers, who, competitively, go so far as to create their own philosophy of law. They find their origin in the United States, in the first writings of Sociological Jurisprudence then in American Realism. Their call for a theory of judicial decision which conforms to the reality of the judgments actually rendered, and in particular to the fact that judges have motivations other than purely legal, has fundamentally and lastingly transformed our perspectives on the law.To build an operational theory, American realists have mainly turned to a naturalistic explanatory model, in accordance with the natural and social sciences of their time, favoring the predictive aspect offered by these sciences, rather than towards the intentionalist or even hermeneutical models that existed yet in the human sciences which were under construction. This raises many questions. How predictable can the act of judging be? Can we explain judicial judgment by causes, or should we rather consider that judges are motivated by reasons? What does the process of naturalizing a theory is, and what are its particularities in the field of law?We will then show that this attempt to naturalize the theory of judicial judgment deserves to be understood in a broader intellectual and epistemological context. The status and form of our explanation of the judicial decision depend on our view concerning the philosophical question of which model is applicable to the sciences of human action. This allows to revisit the classic debate between natural sciences and human sciences through the lens of law and with a new perspective. In doing so, we will see that these questions, which have widely occupied the philosophical scene, are very much the same as those that jurists asked themselves when they had the ambition to build, during the twentieth century, an autonomous science of law. These interrogations still arise today with the emergence of a new type of science, the neurolaw, which again poses, and with acuity, the question of whether, and to what extent, it is possible to naturalize our theories of judicial decision.What prevents us from a naturalization of the science of law, or which, on the contrary, motivates its defenders, is the power to interpret, which is at the heart of the judge's work. In all the reflections on the work of the judge, one detects indeed a discomfort around the question of the possible discretionary power of the latter. It seems that we can only consider it in two ways, both7equally unsatisfactory: either the judges do indeed have a discretionary power because of the interpretative latitude they have, but this then seems incompatible with the democratic exercise of justice; either the judges do not exercise such a power, but then they must be denied any interpretative margin, which this time seems contrary to any realistic description of their work. The work of the philosopher and lawyer Ronald Dworkin (1931-2013) offers the means to face without detours the judge's power to interpret. A completely different perspective, which has emerged in recent years, is that of digital justice. It takes the form of predictive justice and tends to establish itself as an ideal of efficiency and equality. It is remarkable for its desire to erase any interpretative margin, or to codify it in the form of algorithms, so as to make it fully controllable. These recent achievements call for further analysis. Examining these two opposing turns – interpretive and digital – allows us to draw two very different conceptions of justice, which we propose to evaluate in the light of contemporary examples.
Cette thèse s'inscrit dans le domaine de la philosophie du droit et de la philosophie des sciences humaines, et consiste en une enquête sur cette activité spécifique qu’est la décision du juge. Le point de départ de la réflexion est le constat que la philosophie du droit peine à proposer des modèles suffisamment convaincants pour rendre compte des décisions de justice. On lui reproche souvent de fournir une théorie de la justice sans s’intéresser à la pratique réelle des juges. Ces critiques sont classiquement formulées par les juristes, qui, de manière concurrentielle, vont jusqu’à créer leur propre théorie du droit. Elles apparaissent au tournant du XXe siècle de manière particulièrement marquante aux Etats-Unis, dans les premiers écrits de la Sociological Jurisprudence puis dans le réalisme juridique américain. Leur appel à une théorie de la décision judiciaire conforme à la réalité des jugements effectivement rendus, et notamment au fait que les juges ont des motivations autres que purement juridiques, a transformé de fond en comble les perspectives sur le droit.Pour construire une théorie opérationnelle, les réalistes américains se sont majoritairement tournés vers un modèle explicatif naturaliste, conforme aux sciences naturelles et sociales de leur temps, privilégiant entre autres l’aspect prédictif qu’elles offrent. Ce faisant, ils ont négligé les modèles plus intentionnalistes voire herméneutiques des autres sciences humaines en construction à la même période. Ceci ne manque pas de susciter bon nombre de questions. Dans quelle mesure l'action de juger peut-elle être prédite ? Peut-on expliquer le jugement judiciaire par des causes, ou bien faut-il parler des motivations des juges comme de raisons ? Que signifie le projet de naturalisation d’une théorie, et quelles en sont les particularités dans le domaine du droit ? Des auteurs actuels comme Brian Leiter défendent un programme de naturalisation de la théorie de la décision judiciaire, voire de la théorie du droit dans son ensemble.À partir de leur examen, on montre que cette tentative de naturalisation de la théorie du jugement judiciaire mérite d'être comprise dans un contexte intellectuel et épistémologique plus large. Il s’agit de repartir de la controverse entre sciences humaines et naturelles, telle que Dilthey la reformule comme une opposition entre deux approches épistémologiques : expliquer et comprendre. Le statut et la forme que nous donnons à notre approche de la décision judiciaire dépendent en réalité de notre position concernant un autre problème, celui de savoir quel modèle est le plus souhaitable pour les sciences de l'action humaine. Ceci permet alors de revisiter la querelle classique entre sciences de la nature et sciences humaines au prisme de la question juridique et de montrer que les enjeux en sont très actuels. On fait apparaître que ces interrogations, qui ont durablement occupé la5scène philosophique, sont sensiblement les mêmes que celles que les juristes se sont posés lorsqu’ils ont eu l'ambition de construire, dès la fin du XIXe siècle, une science du droit authentique et autonome. Elles continuent d’être centrales encore aujourd’hui avec l'émergence d'un nouveau type de science, le neurodroit, qui, en contexte démocratique, pose de nombreux problèmes moraux et politiques.Ce qui fait obstacle à une naturalisation de la science du droit, ou qui, au contraire, motive ses défenseurs, c'est le pouvoir d'interpréter qui est au cœur – peut-être le cœur – du travail des juges. Or, on décèle un malaise autour de la question de leur possible pouvoir discrétionnaire. Il semble qu'on ne puisse l'envisager que de deux manières, mais dans les deux cas, les conséquences sont insatisfaisantes. Soit les juges ont effectivement un pouvoir discrétionnaire du fait de la latitude interprétative dont ils disposent, soit ils n’en ont pas et alors il faut leur nier toute marge interprétative. Dans le premier cas, cela semble incompatible avec l'exercice démocratique de la justice et dans le second, cela semble cette fois contraire à toute description un tant soit peu réaliste de leur travail. Face à cette apparente impasse, l'œuvre du philosophe et juriste Ronald Dworkin apparaît comme une piste permettant d'affronter sans détour le pouvoir d'interpréter du juge. Au cœur de l’action du juge, on met alors en évidence la notion de récit, qui semble indissociable de celle de décision de justice. La justice numérique, qui voit le jour ces dernières années, se présente comme une tout autre piste. Elle prend la forme d'une justice prédictive et tend à s'imposer comme un idéal d'efficacité et d’égalité. Remarquable par son désir d'effacer toute marge interprétative, elle tente d’encoder la décision judiciaire sous forme d'algorithmes, de manière à la rendre maîtrisable de part en part. L'examen de ces deux tournants contraires – tournant interprétativiste et tournant numérique – permet de dessiner deux conceptions de la justice bien différentes, qu'on se propose d'évaluer au regard d’exemples contemporains.